Ecrire, disent-ils...

Publié le par Diable d'homme

cyrano1Quand il m'arrive de lire les interviews de mes camarades écrivains, grands ou petits, brillants ou obscurs je souris toujours quand  arrivent inévitablement les deux questions posées par mes autres camarades journalistes et les très sérieuses réponses des personnes interrogées.

La première de ces questions est un peu un tic professionnel; un journaliste doit savoir situer l'évènement qu'il relate; il lui faut des chiffres, des faits et surtout des dates. Elle sert généralement d'entrée en matière. On la pose un peu (et là, je me place du côté du journaliste) pour ouvrir l'entretien, comme d'autres toussent pour s'éclaircir la voix. Cette question c'est: "Alors, depuis quand écrivez-vous?" On notera le "alors"; il a son importance. Il ne fait référence à rien de précis et montre toute la vacuité de la question. Pourtant ils / elles sont bien rares les interviewé(e)s à prendre cette question pour ce qu'elle est. Et généralement, ils y répondent avec le plus grand sérieux. Ce qui m'amuse c'est que, moins l'auteur questionné est connu (et donc reconnu), plus il date cette entrée en religion épistolaire fort loin dans le passé: ainsi, certains semblent s'accrocher à une sorte de don divin de l'écriture en répondant tout à trac: "J'écris depuis toujours". Diantre ! D'une phrase, d'une seule les voici immortels lors même qu'ils n'accèderont sans doute jamais à l'Académie. Dire que tout au long de leur carrière certains écrivains bataillent pour endosser l'habit vert (en oubliant parfois ce pour quoi ils sont faits: l'écriture) alors qu'il leur suffirait de prononcer cette phrase magique pour être auto proclamés "écrivain pour les siècles des siècles" !

D'autres, soucieux, au travers de leur réponse, de laisser des jalons pour leur biographe à venir, prennent la pause, réfléchissent et datent très précisément l'entrée en écriture: on trouve pèle mêle des "depuis que je suis toute petite", "lorsque j'ai eu 15 ans" "quand ma fiancée m'a quitté" "le jour ou Médor est mort"...

J'ai moi aussi eu à répondre à cette question. Et pour bien faire, le correspondant de Presse que je suis l'a même posée à l'écrivain que je prétend être. Après tout, on n'est jamais mieux servi que par soi-même (où soi m'aime, ça va de soi...). "Que me suis-je répondu?"  me demanderez-vous, guettant dans ma réponse un élément primordial pour juger de la qualité de mes écrits.

Ma réponse est la suivante: j'écris depuis que l'on m'a appris à le faire. Il ne faudrait tout de même pas oublier que toutes choses que l'on sait faire -à peu d'exceptions près - nous ont été apprises ou transmises par un tiers. Ensuite, cette réponse a le mérite de renvoyer au côté purement pratique de ce théorème que je vous propose: Ce n'est pas parce que l'on sait écrire... que l'on sait écrire. Les interviewé(e)s mélangent allègrement, en toute mauvaise foi, l'apprentissage de l'alphabet, de la calligraphie, de l'orthographe, de la grammaire, de l'ordonnancement de la pensée et le fait d'écrire, de produire un texte susceptible d'être partagé. Une sorte de coquetterie qui les fait ressembler à ces vieilles courtisanes trichant sur leur âge. Mais là c'est presque en sens inverse, parfois jusqu'à l'absurde: ainsi la mode est-elle aux nouveaux talents, aux jeunes plumes, aux nouvelles voix de la littérature que l'on vous annonce en librairies à grands renforts de jaquettes rouges sur leurs ouvrages. Je n'aurais rien contre, même si je trouve un peu exaspérant de comprendre "nouveau" comme synonyme de "talent" au point que "nouveau talent" en devienne redondant. Non, je n'aurais rien contre si ces nouveaux talents n'allaient pas s'empresser d'avouer impudiquement à la première interview qui se présente: "J'écris depuis toujours!". Moi, je ne demande qu'à les croire. Seulement faudrait-il encore qu'ils aient l'honnêteté de poursuivre: "mais ce que j'ai écrit jusqu'ici ne valait la peine qu'on en parle."

 

Passons, maintenant à la deuxième question du journaliste, elle aussi un grand classique: "Est-ce que l'écriture de ce livre a été difficile?"

J'vous jure! Y'a des fois, on se demande à quoi ils pensent les journalistes! Bien sûr que ce fut difficile voyons! C'est écrit: "Tu enfanteras dans la douleur". Et nous voilà partis dans les clichés. L'auteur parle de délivrance, d'enfantement, de gestation de son oeuvre. Si bien que quand je vois, je lis ou j'entends tous ces écrivains qui semblent avoir la grosse tête à la sortie de leurs ouvrages, je me dis que ce doit être une grossesse nerveuse mal placée. Vous ne me croyez pas? Vous pensez que j'exagère? Alors amusez-vous à relire au hasard ces interviews et vous verrez qu'il y est toujours question d'accouchement. Certains poussent même le vice jusqu'à prétendre qu'ils ont mis neuf mois à écrire leur livre. Et je ne serais qu'à moitié étonné si un jour je lisais qu'une auteure belge ex nouveau talent qui s'accroche au devant de la scène affirmait avoir écrit son dernier roman dans une étable entre un âne et un boeuf...C'est en partie à cause d'auteurs comme ça que je suis pour l'avortement.

 

Corollaire de la douleur d'enfanter un livre, la fameuse angoisse de la page blanche. On ne peut pas décemment prétendre être un écrivain si l'on n'a pas connu l'angoisse de la page blanche. Il y en a même qui sont des accros! Et vas-y que je me fais un rail de page blanche par ci, un rail de page blanche par là... Plus je souffre pour écrire, plus j'obtiens la garantie que mon oeuvre est de qualité! Ah bon? Trop peu pour moi...

Quand il m'arrive de m'installer à ma table pour écrire et que rien ne vient, je ne suis pas d'un tempérament à me morfondre, à faire une crise de spasmophilie à remettre en cause le sens de mon existence... Pas idée? Rien à écrire? La belle affaire! Je referme mon stylo, je range ma page blanche (sans la froisser, elle n'y est pour rien) et je passe à une autre occupation en me disant que ça ira mieux demain.

Ceci étant valable pour les oeuvres de fiction. Mais quand il s'agit d'une chronique, avec sa date butoir ? Vous êtes là, face à votre feuille avec autant d'entrain et de richesse d'esprit que s'il s'agissait d'une déclaration d'impôts à remplir. Et pourtant, vous savez qu'il vous faut rendre la copie... Pas de panique! je suis passé maître dans l'art d'écrire pour ne rien dire. D'ailleurs n'en faites-vous pas les frais depuis un quart d'heure? La preuve? Le texte qui suit. Ma chronique mensuelle pour le magazine protestant "Ensemble":

 

Mai a culpa

La logique adoptée  depuis quelques temps sur cette chronique voudrait que je vous parle du mois de mai. Alors, je m’y mets… Sauf qu’à l’heure où j’écris, on n’est pas mi mai mais début avril et que ma créativité, à l’image de la végétation, tarde à bourgeonner. Oh Muse des chroniqueurs ! Je t’en prie, fais-moi une fleur… Fais-moi un signe, un tout petit signe. Rien ! Silence radio… Côté inspiration, c’est le chant du cygne (et du signe). Ma muse muette ne daigne même pas mimer. Et je ne peux décemment remettre cette chronique aux calendes grecques. Tant pis, pour ce qui est de ma muse – qui, soit dit en passant, ne m’amuse pas du tout – je lui lancerai un appel au mois de juin. C’est bien, juin, pour les appels. Au moins, il y a plus de chances qu’à cette époque ma muse réponde « Je vous ai compris ! ».

Ceci dit, pour mai, me voilà bien en carafe. J’ai beau trier mes idées par le menu, mettre les petits plats dans les grands, côté mets de l’esprit, c’est plutôt carême… « En mai fais ce qu’il te plait ! ». Tu parles d’un dicton ! Mon cerveau l’a pris au pied de la lettre : il erre, il divague, il déambule tandis que moi je bats le pavé. Et sous le pavé pas de page. Oui mais… Tout ça c’est la faute de ma muse vous dis-je, où si vous préférez la faute d’inspiration ! A défaut de la première pierre, il fallait bien que je trouve quelqu’un sur qui jeter mon pavé. Ces écrits indigestes tombent à plat, tels un pavé dans la mare Voilà du coup une chronique sans éclat. Et j’aurai beau faire, j’aurai beau dire, c’est sur moi que va en rejaillir la faute… Oui mais… Qui s’en soucie ? Pendant ce temps ma muse se marre. Oui mais, oui mais, oui mais… Ca suffit à la fin ! Avec des si on mettrait Paris en bouteille. Et avec tous ces mais, un certain mois de mai, c’est le tout Paris qu’on mettait dans des paniers à salade. A cause d’un trop plein de pavés justement. Et depuis quand on dit Mai, on pense 68… Or, je vous ferais aimablement remarquer que 68 n’est autre que le produit de deux fois 34… Oui ! 34 et son département associé, j’ai nommé l’Hérault. Non, pas le Héros (Celui-là, depuis mai 68 il est définitivement fatigué). J’ai bien dit l’Hérault, celui de Sète, du Cap d’Agde, de la plage, celle là même qui se cachait sous mes pavés…

Bon ! Assez tergiversé… J’ai mes soucis… Un océan de soucis… Et au milieu j’ai MAI en travers de ma page. Une page blanche et sans cocotier à secouer pour qu’en tombe une idée. Et là, je me sens seul, aussi seul que Robinson sur son île ; pas celle déjà citée de la Cité. Non, une autre, genre l’île d’If (en anglais ça veut dire « si », comme ceux qui aident à mettre Paris en bouteille). Et pas moyen de prendre le large… J’vous jure ! Ce n’est pas pour dire, mai(s) y’a des fois où, être chroniqueur, c’est le bagne.

 

Cyrano

 

 

 

 

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M
<br /> <br /> Le jour où j'ai découvert cette note, j'ai écouté à la radio l'interview d'un auteur à succès et ces lieux communs se sont taillés la part du lion ! Autant dire que je me suis trouvé submergée<br /> par un état de second degré absolu.<br /> <br /> <br /> "J'écris depuis que j'ai 15 ans..." - je me demande s'il peut aussi ajouter la date et l'heure.<br /> <br /> <br /> Longue diatribe sur les "neuf mois" et l'enfantement d'un livre - quand on est femme et mère, on ricane tout de même un peu sur cette notion de couvade littéraire.<br /> <br /> <br /> Sinon... je vois que je ne suis pas la seule à penser que l'être humain - et particulièrement l'écrivain peut être une île ! ;)<br /> <br /> <br /> <br />
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A
<br /> <br /> Mai(s) dis donc, pas d'inquiétude, bientôt viendra le temps des cerises sur le gâteux, pardon, sur le gâteau !...<br /> <br /> <br /> <br />
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B
<br /> <br /> T'es pas seul !!<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> http://cugnauxonline.over-blog.com/article-denis-sigur-ouvre-son-blog-litteraire-49789910.html<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />
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