Mon ami le coyote: épisode 7

Publié le par Diable d'homme

Mon ami le coyote (titre)

 

 

 

 

Ma chambre est dans la pénombre. Les volets sont tirés mais à travers les persiennes j’aperçois la faible lueur du jour. Quelle heure est-il ? Je n’en ai aucune idée. Du fond de mon lit, je repense aux trois silhouettes en conciliabule près de la porte quelques minutes plus tôt. Il y avait ma mère, l’Ogre et le docteur Clamens, notre médecin de famille.

Un brave homme le docteur Clamens ; toujours gentil avec moi. Il ressemble à François Mitterrand, le premier secrétaire du Parti Socialiste, à tel point qu’on pourrait croire qu’ils sont jumeaux. Ca fait partie des rares choses qui fassent sourire ma mère, cette ressemblance. Parce que le docteur est un fervent militant du RPR et qu’il porte cette ressemblance comme un fardeau. Ma mère, comme l’Ogre, n’aime pas les gens du RPR. Mais ils détestent encore plus Mitterrand. Un jour, je les ai entendus dire avec fatalisme : « Si la gauche arrive un jour au pouvoir, ce sera grâce à cette pute de Mitterrand ! ». Les cocos et les socialos, c’est un peu comme chiens et chats embarqués dans la même fourrière, d’après ce que j’ai pu comprendre. Bon bref, malgré tout, mes parents apprécient ce bon vieux docteur en dépit de sa tare physiologique…

Et là, j’aurais bien voulu comprendre ce qu’ils disaient. J’étais certain que leur discussion se rapportait à moi. Je faisais en sorte de ne pas bouger d’un poil, les bras allongés le long du corps sur les couvertures, les yeux clos. Je tendais l’oreille…

 

-          C’est une  grosse fièvre disait le docteur. Mais il n’y a pas lieu de s’inquiéter. Ce gamin  du prendre froid pendant sa fugue… 

 

Ma fugue ?!! De quoi parlaient-ils ? Je me souviens être sorti du collège. A cause de la gifle de Nadine… Je me souviens avoir couru dans les rues de la ville, sans trop savoir où j’allais… Pendant combien de temps ? J’ai du rentrer à la maison pour l’heure du repas, au plus tard… Mais je ne suis sûr de rien… Après la course dans les rues, c’est le trou noir. Je ne sais pas où je suis allé ni ce que j’ai fait…

 

-         Votre fils est en     état de choc poursuivit le médecin. On ne sait pas ce qui a pu lui arriver, ni les rencontres qu’il aura pu faire. Rien de bien grave, certainement. Mais vous savez, à cet âge là, tout prend des proportions démesurées…

 

-         Il est si bizarre en ce moment, se plaignit ma mère. Il ne nous parle presque pas et passe le plus clair de son temps enfermé dans sa chambre…

-         C’est l’adolescence Madame. Encore une fois, il n’y a pas lieu de s’inquiéter. Restez simplement vigilants. C’est la première fois qu’il fugue ?

 

-         Oh oui ! s’exclama ma mère, avant d’ajouter tout bas : toute cette histoire au collège, ces bagarres, cette violence… Ce n’est pas Louis. Ca ne lui ressemble pas. Notre fils n’est pas comme ça…

 

 

-         Qu’est-ce que tu racontes ! s’emporta l’Ogre qui jusque là était resté silencieux. Ces sales morveux l’ont attaqué à plusieurs. Alors il s’est défendu et  en fin de compte, il a filé une raclée bien méritée à leur chef. Je vais te dire, moi : je trouve ça tout à fait normal. Tu voulais quoi ? Qu’il vienne pleurer dans tes jupons ? Au contraire, je commençais à m’inquiéter de le voir réagir comme ça jusqu’à présent. J’ai bien cru qu’il allait finir par te ressembler, toujours à se lamenter sur son sort… 

 

Instinctivement, je m’étais tassé sous les couvertures. Le docteur jugea bon de reprendre la parole pour couper court à cette discussion qui menaçait de dégénérer :

 

-         Vous savez, l’adolescence est une période on ne peut plus troublée ; Il a des tas de chambardements physiologiques et psychologiques qui s’opèrent comme l’apparition de la sexualité, par exemple. Quel âge a-t-il déjà ? Treize ans ? Vous avez certainement dû remarquer qu’il tache ses draps depuis quelques temps, non ? 

 

Ma mère toussota et baissa la tête pour cacher sa gêne, ce qui eut aussitôt le don d’exaspérer l’ogre :

 

-         Oh sacré nom d’un chien, Suzanne ! Arrête de faire ta grenouille de bénitier ! gronda-t-il. Le docteur te demande si ton fils se tripote. Et alors ? Ce n’est pas un crime ! On l’a tous fait. Pas vrai, docteur ?

-          

Ce fut au tour du médecin d’avoir l’air gêné.

 

-         Oui, bon… Effectivement. C’est dans l’ordre des choses naturelles, même si on a encore du mal à évoquer ce genre de choses. D’où la culpabilité, voyez-vous. Le sentiment de faire quelque chose de mal, de défendu. Il se peut que Louis se sente coupable. Cette sexualité naissante peut parfois apparaître comme quelque chose d’angoissant pour un gamin de son âge. Ca peut le rendre hypersensible, à fleur de peau. Et je ne parle pas de l’acné, hein, tenta-t-il de plaisanter pour détendre l’atmosphère. Dans cette période de mutation qu’il est en train de traverser, la moindre contrariété, la moindre brimade prend des proportions démesurées. En quelque sorte, il cherchera toujours à vous faire payer le fait de le laisser se débrouiller tout seul avec ses pulsions.

 

-         Justement, Docteur. Peut-être vaudrait-il mieux ne pas lui dire de suite pour sa petite camarade de classe ? C’est un drame tellement horrible…

 

 

-         Oui, c’est affreux, effectivement… Cette pauvre famille. Mieux vaut que votre fils soit tenu à l’écart de tout ceci pour l’instant. Ce qu’il lui faut avant tout, c’est du repos. Aucun choc. On ne sait pas ce qu’il a vécu ces trois derniers jours… 

 

J’avais du mal à croire qu’ils parlaient de moi. Le sens de leurs paroles m’échappait. Qu’est-ce que c’était  que cette histoire de trois jours ? Etais-je capable de m’être enfui tout ce temps ? Et pour aller où ? Pour quoi faire ? J’avais beau chercher dans les tréfonds de ma mémoire embrumée, je ne me souvenais de rien. Ils devaient parler de quelqu’un d’autre. Ou alors j’avais mal entendu. Certaines phrases m’avaient peut-être échappées ? Et de quel drame parlaient-ils ? Quelle était cette pauvre famille qu’ils semblaient plaindre ? Je fus soudain tiré de mes pensées par la voix de l’Ogre :

 

-          En tous cas, pour moi c’est réglé ! Louis ne retournera pas dans ce maudit collège ; ni dans aucun autre d’ailleurs. Tant pis sil na pas tout à fait l’âge. On demandera une dérogation à l’Inspection académique. Il fera son apprentissage avec moi et voilà tout…

 

-         Mais, tenta d’objecter ma mère, Louis a de bons résultats scolaires… On pourrait essayer un autre établissement si tu crois que celui-ci ne lui convient pas…

 

 

-         Pour en faire quoi ? Un poète ? Un philosophe ? Non, non, non ! Assez de conneries comme ça ! Ce dont à besoin ce gosse, c’est d’apprendre un métier, et je lui apprendrai le mien. Louis viendra à la boucherie avec moi.

 

-         Vous pourrez peut-être reparler de tout cela plus tard, avec lui, dit le docteur en les invitant à quitter la chambre. Le garçon a peut-être son mot à dire…

 

 

-         Son mot à dire ? s’exclama  l’Ogre. Il ne manquerait plus que ça ! Où avez-vous vu  qu’un gamin de treize ans décidait à la place de ses parents, Docteur ? En tout cas, pas chez moi !

 

-         Mais c’est de son avenir dont il s’agit ! objecta ma mère à demi-voix.

 

 

-         Justement ! reprit l’Ogre. Qu’est-ce que tu crois que je branle toute la journée derrière mon comptoir, moi ? Je le lui fabrique, son avenir ! Plus tard, il sera bien content de reprendre la boucherie. Alors pour l’instant ce qu’il en pense, je m’en balance. Je suis réaliste moi. Et je le suis pour deux. Parce que toi, tu ne verrais aucun mal à ce qu’il continue à écrire des poèmes à la gomme jusqu’à sa majorité, pas vrai ? Alors laisse moi te dire que… 

 

La porte s’est refermée sur eux,  emportant  mon avenir. J’étais abasourdi. L’idée de passer mes journées entre les quatre murs de la boucherie en compagnie de l’Ogre, de le suivre dans ses tournées meurtrières dans les fermes du voisinage me faisait froid dans le dos. En comparaison, les brimades quotidiennes au collège c’était du pipi de chat, un maigre tribut payé à la société pour faire des études qui me mèneraient loin, bien loin de la boucherie et de l’Ogre.

 

Moi ce que je voulais, c’était être écrivain, ou cinéaste. Inventer des histoires, et, grâce à elles tenir le Monde dans le creux de ma main. Je rêvais de best-seller, d’Hollywood.  Je voulais la gloire, avoir l’ascendant sur les autres, être aimé et craint tout à la fois. Je méprisais mes parents de ne pas se rendre compte de ma juste valeur, de ne voir en moi qu’un enfant fragile et maladif, un être qu’il fallait, au mieux, protéger, au pire, traiter comme un faible  dont il faudrait forger le caractère à coups de pieds au cul. Ils ne comprenaient rien ! Ils ne comprendraient jamais rien et menaçaient mon avenir…

A cet instant précis, j’aurais voulu qu’ils crèvent.

 

-         T’es dans de beaux draps, on dirait… 

 

La voix de Coyote m’a fait sursauter. Il a jailli de l’embrasure de la fenêtre par laquelle il vient de se glisser comme un félin dans ma chambre. Je me redresse.

 

-         Mais t’étais où Coyote ? J’ai cru que tu m’avais laissé tomber…

 

Ma remarque le fait sourire.

-         Je ne t’abandonnerai jamais, Louis. Toi et moi, c’est à la vie à la mort. Mais tu t’es très bien débrouillé sans moi ces derniers temps. Quoique là, faut bien reconnaître que t’as un peu merdé avec cette poufiasse, on dirait... 

 

J’écarquille les yeux, incrédule…

 

-         T’es au courant ? Tu étais là ?

-         Quoi ? Pour la gifle ? Non je n’étais pas là… Mais cette petite conne c’est fait un plaisir de raconter votre petite discussion à droite à gauche. Et moi, j’ai l’oreille partout, tu le sais… 

 

En disant cela, Coyote fait les cent pas au pied de mon lit. Il semble parler pour lui seul et  me regarde à peine.

Je l’écoute et sens mes joues s’embraser à l’idée de la honte qui m’attend dès que je mettrai un pied dehors. J’étouffe un sanglot.

 

-         Je ne pourrai plus jamais revenir au collège après ça. Tout le monde va se moquer de moi…

-          

Il stoppe brusquement ses allées et venues et me lance un regard amusé en pointant un doigt vers la porte de ma chambre.

 

-         Si tu veux mon avis, coupe mon ami, la seule chose qui va t’empêcher de revenir au collège, c’est cette idée que ton père s’est fourré dans la tête… Pour le reste, crois-moi, la gifle que tu as reçue, n’est plus tellement d’actualité… A moins que les poulets s’en mêlent, bien sûr… 

 

-         La Police ?!! dis-je en ouvrant de grands yeux étonnés. Mais pourquoi ? Oh, non ! Coyote, ne me dis pas que ma mère est allée porter  plainte…

 

-         Ta mère ? Mais qu’est-ce que tu racontes ? Ta mère ne sait faire que pleurer sur ce qui t’arrive comme si tous les malheurs de la terre s’abattaient sur sa propre tête à elle… 

 

Même si l’instant d’avant, je  souhaitais la mort de mes parents, les derniers mots de mon ami me mettent mal à l’aise. C’est la première fois que j’entends parler ainsi de ma mère par quelqu’un d’autre que moi, l’Ogre mis à part, bien entendu. Coyote ignore superbement mon froncement de sourcil. Il me fait face maintenant, les deux mains cramponnées au montant du lit.

 

-          J’te parle du « regrettable accident » qui a eu lieu y’a deux jours dit-il d’un petit air ironique. T’étais où bordel ? On dirait que tu tombes de la lune !

-         De quoi tu me parles, Coyote ? Je ne comprends rien à ce que tu racontes… 

 

Il lève les yeux au ciel d’un air découragé, puis m’indique d’un geste vague le  bureau près duquel, tout à l’heure, se tenaient mes parents et le docteur …

 

-         Bon… Pour ta gouverne, tu devrais jeter un oeil sur ça dit-il en désignant le journal qui traîne sur mes cahiers, visiblement oublié par l’Ogre. 

 

Je me lève d’un bond. Ce qui a pour conséquence immédiate de faire vaciller le sol et les murs autour de moi. Je chancèle.

 

-         Hé là ! Doucement ! s’exclame Coyote en se précipitant à mon secours. Bouge pas ! dit-il en me faisant asseoir au bord du lit. J’apporte le journal. 

 

Je n’ai pas à chercher bien loin en prenant le quotidien pour que les propos énigmatiques tenus par mon ami prennent tout leur sens. Un gros titre barre toute la première page et me renvoie à ce que sous entendait  ma mère quelques minutes plus tôt.

 

« HORRIBLE DRAME DANS UN PAVILLON DE QUARTIER :

UNE FAMILLE DECIMEE PAR UN MYSTERIEUX INCENDIE … »

 

Sur deux colonnes, à côté de la photo d’une maison dont on ne devine plus que la moitié d’un pan calciné sous un amas de poutres fumantes, l’article raconte :

 


 

« Dans la nuit de lundi à mardi, vers 2heures du matin selon les voisins, un incendie fulgurant a surpris la famille Galard dans son sommeil. La rapidité du sinistre n’a laissé aucune chance aux parents et à leurs deux enfants, un bébé de huit mois et une adolescente de treize ans, tous quatre morts asphyxiés dans leur sommeil. L’origine de l’incendie est certainement accidentelle. On évoque la possibilité d’un court circuit ou d’une cigarette mal éteinte. Toutefois, les pompiers et la police continuent d’explorer toutes les pistes sans en écarter aucune, même celle d’un acte malveillant ; un bidon d’essence aurait été découvert contre le mur du garage. Cependant l’hypothèse d’un acte criminel reste peu probable, car la famille Galard était connue et appréciée de tous. On ne lui connaissait pas d’ennemis… »


 

 

Le journal me glisse des mains.

 

-         C’est horrible dis-je dans un souffle, les yeux tournés vers mon ami. Nadine est morte… 

 

Il ne semble pas plus affecté que ça par la nouvelle et tente de me consoler à sa manière, avec brusquerie.

 

-          Ouais, bon... Ils n’ont pas souffert. C’est déjà ça. Parait qu’ils étaient déjà morts avant de griller. Faut croire que ça ne lui a pas porté bonheur à Nadine de te coller cette gifle… Comme qui dirait,  le Ciel l’a punie !

 

-         Coyote ! Tu ne peux pas dire ça ! C’est trop horrible… Et puis les parents, le bébé… Ils ne m’avaient rien fait !

 

-         Hé  bonhomme ! Ca se voit que tu vis chez des cocos toi ! Chez moi c’est plutôt bondieuseries et compagnie. Alors j’peux te dire un truc : dans la Bible, c’est plein de trucs comme ça. Y’en a un qui déconne, et vlan ! C’est toute la tribu qui y passe. Parait-il que la colère divine est aveugle… 

 

Je ne sais pas quoi répondre. De toute façon, Coyote ne m’en laisse pas le temps. Au cas où la référence religieuse ne pèserait pas assez dans la balance, il enchaîne sur le versant historique :

 

-          Regarde l’Histoire, mon vieux… C’est pareil. Hiroshima, t’as entendu parler ? Pour quelques centaines de Chintoques hystériques…

 

-         C’était des japonais… 

 

Il balaye ma remarque d’un geste agacé.

 

-         Ouais, bon si tu veux ; des Japs. N’empêche, tu vas pas me dire. Hiroshima, ce n’était pas tous des kamikazes…Pourtant ils se la sont bien prise dans la gueule la bombe atomique… Non, crois-moi, c’est comme ça. La vie est injuste. Moi, c’est plutôt pour toi que je m’inquiète…

 

-         Non, faut pas.  J’te jure que ça va, Coyote. C’est juste le coup de la nouvelle, tu vois ? Je ne m’y attendais pas…

 

 Je ne veux surtout pas qu’il me prenne pour une mauviette.

 

-         J’te parle pas de ta santé ni de tes états d’âme , pendejo ! Je m’inquiète parce qu’on a trouvé un bidon d’essence dans la baraque et qu’il va y avoir une enquête. Et les poulets, c’est des vicieux, crois-moi. Ils vont fouiller partout. Y’aura bien quelqu’un au bahut qui va vouloir faire le malin et leur balancer l’histoire de la gifle. Et de là à ce qu’ils aillent s’imaginer… 

 

Je me redresse brusquement. Sur les couvertures, mes mains se sont mises à trembler.

 

-         Tu crois qu’on va m’accuser ?

 

-         Je n’en sais fichtrement rien. Mais je te l’ai dit : avec les cognes, faut s’attendre à tout. Ils vont vouloir savoir où tu étais, ce que t’as fichu pendant tout ce temps… 

 

Je sens la panique m’envahir.

 

-         Qu’est-ce que je vais leur dire ? Je m’en souviens même pas ! dis-je dans un gémissement.

 

-         Ouais, c’est ça le hic, figure toi. T’as même pas d’alibis. Par contre t’avais une sacrée bonne raison de vouloir te venger de cette pétasse…

 

-         Coyote ! Elle est morte !

 

-         Et alors ? Comme quoi, même les pétasses meurent un jour ! Tiens ça ferait un bon titre pour un San Antonio ça ; tu trouves-pas ?  me lance-t-il dans un sourire. J’adore San Antonio ! 

 

Je n’ai pas le cœur à plaisanter.

 

-    Coyote… Je ne veux pas aller en prison !

 

-         Hé ! On se calme ! Arrête de gémir sur ton sort. T’es pas Christian Ranucci*.  J’sais pas moi non plus ce que t’as trafiqué ces derniers jours. Et si t’as joué avec le feu, j’veux même pas le savoir. Mais j’suis ton ami et je me suis dit que si tu t’étais foutu dans un sacré merdier, ben mon devoir c’était de te tirer de là…

 

-         Tu ne crois tout de même pas que c’est moi qui ai fait ça ?

 

-         J’veux pas savoir, je te dis. Et de toute façon ça ne changerait rien. Ce qu’il faut c’est être prêt au cas où les flics viendraient te poser des questions.

 

-         Mais qu’est ce que je vais leur dire, Coyote ?

 

-         Ce que tu vas leur dire ? Tu vas leur dire que tu as fait une fugue. Que t’es allé te planquer dans le pigeonnier  de la ferme des Montels. Tu vois de qui je parle au moins ?

 

-         Les Montels ? Oui. Mon père m’a amené chez eux plusieurs fois pour tuer des vaches. Mais ils habitent à 10 kms d’ici !

 

-         Et alors ? Tu préfères peut-être raconter que pendant tout ce temps t’étais caché dans la cave des Galard, à épier tous leurs faits et gestes ? T’étais chez les Montels, loin d’ici. Comme ça, ça te dédouane…

 

-         Mais on va me demander des preuves. Et puis d’abord, pourquoi, j’serais allé là-bas ? Et les Montels, ils ne m’auront même pas vu… Et… 

 

Coyote lève la main pour stopper le flot angoissé de mes objections :

 

-         Bon. Ecoute-moi bien. Parce que, tout ça, après, il va falloir que tu le racontes encore et encore. Sans merder sur les détails… Alors : Primo t’es allé là-bas parce que tu fuguais, que tu cherchais un endroit tranquille, loin de tes parents. Et justement tu connaissais cette ferme puisque ton vieux t’y a traîné plusieurs fois. Tu savais que les Montels sont vieux, qu’ils ne sortent plus souvent de la ferme et surtout, surtout, qu’ils ne vont presque jamais dans ce pigeonnier. D’ailleurs il est à moitié en ruine… Deuzio : Si, les Montels t’ont vu. Et ils pourront confirmer ton témoignage…

 

-         T’es en train de me dire que j’étais vraiment là-bas ? 

 

Coyote s’est assis sur le bord de mon lit. Il prend soudain l’air très fier de lui :

 

-         Non. Bien sûr que tu n’y étais pas. Mais ce que je peux te dire, c’est que t’as un pote vachement intelligent, mon vieux. Et t’as de la chance d’avoir un ami comme moi sur qui tu peux compter. Ecoute bien : Quand j’ai vu la tournure que les choses prenaient, je me suis tout de suite dit : « Faut que tu fasses quelque chose pour lui, avant que ça dégénère ». Pendant que tu étais Dieu sait où, je suis venu ici. J’ai pris des trucs à toi ; des fringues, un ou deux bouquins. J’ai piqué deux ou trois bricoles dans la charcuterie et j’ai moi-même - il appuie sur les derniers mots - porté tout ça dans ce foutu pigeonnier. Après - et là, tu vas voir que je suis un as, mon vieux ! – j’ai passé tes fringues, et je me suis arrangé pour sortir du pigeonnier et me montrer au moment où le père Montels sortait sur le pas de sa porte pour prendre l’air. T’aurais vu ça ! Il s’est mis à gueuler le vieux ! J’te dis pas ! J’ai pas compris ce qu’il disait mais si tu veux mon avis, il était pas content de te voir traîner autour de ce tas de cailloux. J’ai fait celui qui était surpris et qu’avait peur. J’ai couru à travers champs jusqu’à la route avant que le vieux ne monte vers le pigeonnier. Il aura certainement trouvé les restes et tes bouquins. Et je suis rentré en stop jusqu’ici. Qu’est-ce que t’en dis ? C’est pas beau ça ?

 

-         En stop ? Mais celui qui t’as pris saura bien te reconnaître et faire la différence entre toi et moi … 

 

Coyote semble déçu que je ne m’extasie pas devant ses exploits :

 

-         D’abord, ce n’était pas celui, mais celle qui m’a pris en stop. Une bonne femme qui n’est même pas d’ici. Ensuite, j’suis loin d’être con ! Je portais tes fringues je t’ai dit. Ton survêt orange, avec la capuche que j’ai gardée sur la tête. Elle me voyait que de profil. Et même si on la retrouve. Que veux-tu  qu’elle dise ? C’était la fin de journée. Il faisait déjà sombre. Elle ne m’a vu que dix minutes, le temps du trajet, et de profil en plus… Alors on peut être tranquille de ce côté-là. Qu’est-ce que t’en dis ? J’suis pas génial, comme ami ? 

 

Je l’observe un instant sans rien dire. Son calme et son esprit d’à propos me fascinent. Il me regarde en souriant, guettant mon approbation. C’est vrai qu’on se ressemble physiquement. Même taille, même couleur de cheveux… Mais il est tout ce que je ne suis pas, tout ce que je ne serai jamais.

 

-         Coyote ? Tu crois vraiment que j’aurais pu faire une chose pareille ? L’incendie, je veux dire… 

 

D’un coup, mon ami reprend son sérieux.

 

-         Je n’en sais rien Louis. Je ne suis pas dans ta tête, moi. Mais si tu veux mon avis, y’a ce tee-shirt qui pue l’essence et un briquet dans le dernier tiroir de ta commode. Je les ai trouvés quand je suis passé prendre tes affaires. Tu devrais t’en débarrasser… 

 

 

 

* Christian Ranucci, condamné à mort et exécuté le 28 juillet 1976 pour le meurtre d'une fillette, Marie-Dolorès Rambla en 74. Il est le premier condamné à mort guillotiné en France sous le septennat de Valéry Giscard d'Estaing et l'ante-pénultième condamné à mort exécuté en France

 

 

 

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J
<br /> <br /> alors là ! je l'ai lu d'une traite ce chapitre! on sent poindre à l'horizon de l'histoire un je ne sais quoi<br /> d'inquiétant qui donne envie de tourner la page!<br /> <br /> <br /> par contre, je trouve étonnant, comme dans le premier commentaire, l'allusion à Christian Ranucci...<br /> <br /> <br /> un bon moment passer à te lire!<br /> <br /> <br /> <br />
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D
<br /> <br /> Tout vient à point à qui sait attendre !<br /> <br /> <br /> <br />
S
<br /> <br /> ça bascule... fort<br /> tant mieux<br /> vivement dimanche !<br /> <br /> <br /> <br />
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S
<br /> <br /> ben ça alors !, il aurait vraiment péter le plomb notre héros ?. rebondissements, suspens..j'ai adoré. l'ogre et la maman mijorée m'ont fait marrer au début. vivement la suite!<br /> <br /> <br /> <br />
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F
<br /> <br /> Effectivement, le récit prend un virage conséquent.<br /> <br /> <br /> C'est curieux, Denis,  de parler de Ranucci. J'ai malheureusement, malencontreusement ou fort inconsciemment et heureusement fait l'amalgame avec Robin Renucci, l'acteur,  jouant au<br /> cinéma dans Escalier C le rôle de Forster Laffont, grand critique d'art, (le superbe roman d'Elvire Murail). N'y voyez-là aucunne concordance, Maître. Mais tout de même, il se trouve que<br /> l'histoire là-aussi prend un tournant conséquent lorsque le "bellâtre" Forster se trouve nez à nez, si je puis dire, avec sa voisine pendue au plafond dans l'escalier. Pourquoi ce parallèle? Une<br /> idée peut-être qui germe dans mon esprit fertile et qui me dira, usant de circonlocution, si, avec la suite du Chacal, les grands esprits se rencontrent vraiment.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Dommage que Dimanche prochain, je ne travaille pas de nuit.<br /> <br /> <br /> A vous lire,<br /> <br /> <br /> Frédéric Silva<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />
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D
<br /> <br /> Vous risquez à nouveau de faire un parallèle similaire dans quelques chapitres. Mais chut....<br /> <br /> <br /> <br />