Mon ami le coyote: épisode 3

Publié le par Diable d'homme

Mon ami le coyote (titre)

 

J’ai abandonné mon ébauche de poésie sur un coin de mon bureau. Je me suis laissé emporter par mes pensées. Des pensées dont je ne sais trop que faire. Elles m’encombrent et me font sentir coupable. Parce que depuis peu,  j’ai recours à la masturbation. Bien que personne ne m’ait jamais parlé de ces choses là, j’ai le vague sentiment que c’est mal ; ce qui ne m’empêche pas de m’adonner à ce nouveau penchant de manière frénétique dès que j’en ai l’occasion. Ce soir, nu comme un ver,  je m’allonge sur l’édredon déjà maculé de taches suspectes,  et je m’efforce de penser à Mademoiselle Legrand, la  jeune et jolie professeur d’Histoire et Géographie du collège. Tous les garçons de la classe rêvent d’elle. Et parce qu’ils rêvent d’elle, ils se montrent généralement odieux à son égard ; une manière comme une autre d’attirer son attention. A plusieurs reprises depuis le début de l’année, Mademoiselle Legrand a quitté la classe en larmes. Et moi,  chaque fois, ça m’a brisé le cœur. Mais je n’ai pas bougé. Pendant que mes camarades lui font pis que pendre pour perturber son cours, je me contente de baisser la tête  sur mon livre d’Histoire ; je feins d'être l’élève absorbé par les statistiques sur le PNB de tel ou tel pays du Tiers Monde et j’évite de lever les yeux vers la muse de mes instants de solitude érotique. J’ai bien trop peur de croiser son regard déstabilisé par les tracasseries des autres, son beau regard vert empli de larmes… Je fuis ce regard que j’aime tant de crainte qu’il ne s’accroche  à moi comme un noyé s’agrippe à la berge pour ne pas sombrer. Je suis un lâche.

Mais le soir, dans ma chambre, je refais le film de la journée : je deviens le héros qui vole à son secours, infligeant une correction mémorable à ses agresseurs qui, soit dit en passant, sont aussi les miens. Dans ce rêve éveillé, Mademoiselle Legrand me fait toujours don de son corps en juste paiement de ma bravoure. Dans la réalité, notre prof d’Histoire me gratifie seulement de caresses furtives dans les cheveux et de petits mots d’encouragement affectueux. Si peu en comparaison des torrides jeux auxquels je la convie sur mon édredon à l'heure du coucher. Si peu et bien trop à la fois, car il est de notoriété publique que je suis son chouchou. Ce qui fait enrager Jean-Christophe et lui donne un  prétexte supplémentaire, à lui et à toute sa bande, pour me martyriser encore plus.

Alors, le soir venu, quand le héros est tombé sous les coups de ses adversaires, bien trop fourbes et nombreux pour lui, Mademoiselle Legrand se transforme en Lucrèce Borgia, en Mata Hari, en Cléopâtre pour panser les blessures imaginaires de mon corps dénudé et meurtri, me prodiguant des caresses qui ne figurent dans aucun programme de l’Enseignement.

Oui, mais voilà : depuis quelques temps, mes rêves fantaisistes sont systématiquement parasités par l’image de mes parents en train de s’accoupler. J’ai beau tenter de me concentrer, d’évoquer les jolies jambes galbées de ma prof, imaginer ses seins, son sexe, au moment crucial, c’est toujours l’image de ma mère dénudée, à croupetons sur le lit qui s’impose à moi…

 

- Tu devrais te rhabiller. Les nuits sont encore fraîches … 

 

La voix de Coyote m’a fait sursauter. D’un bond, je quitte le lit et cherche désespérément mon slip et mon tee-shirt, abandonnés je ne sais où. Je maudis intérieurement mon désordre chronique.

 

- Tu… Tu étais là ? Par où t’es rentré ?  En fait, c’est simple ;  ce n’est pas ce que tu crois. Je vais t’expliquer…

- Oh ! laisse tomber, dit-il d’un air désinvolte. Je sais ce que c’est… 

 

Mon ami s’est assis sur le rebord de la fenêtre. J’imagine que c’est lui que j’ai entraperçu dans l’arrière cours de la boutique tout à l’heure. Je suis impressionné par son culot. En ce qui me concerne, il s’en faut encore de beaucoup pour que j’ose faire le mur de la maison ou du collège.

 

- Tu n’as pas peur de te faire engueuler par tes parents ? dis-je en enfilant ni vu ni connu un nouveau slip pris discrètement dans un tiroir de la commode.

 

J’ai discrètement jeté mon oreiller sur la tache sombre et humide qui macule l’édredon.

 

- Laisse tomber ! Je fais ce que je veux… Mes vieux, c’est pas le genre à s’imaginer que je puisse avoir une vie quand ils ne m’ont plus sous le nez pour se souvenir que j’existe. Mais bon, j’suis pas venu pour te parler d’eux… Ni pour te voir te tirer sur le poireau en pensant à la prof d’Histoire Géo…

 

Je le regarde, interloqué.

 

- Comment tu sais ?

- Hé ! Le Coyote sait tout ce qu’il y a à savoir, ok ? Un Coyote, ça fouine, ça furette, ça écoute…

 

Et comme je reste sans réaction, il ajoute en rigolant :

 

- Mais non, crétin ! Simplement, c’est facile : vous êtes tous à la bader à longueurs de  journées. Quand elle traverse la cours de ce bahut, c’est chaque fois la même chose. On dirait que le temps s’arrête,  qu’elle vous a jeté un sort pour vous transformer en statues. 

 

Tout en parlant, il a définitivement bondi sur le plancher geignard de la chambre et se dirige droit sur mon armoire à vêtements.

 

- Bon ! Tu vas t’habiller plus chaudement que ça. J’ai bien réfléchi à ton problème et je crois que j’ai trouvé une solution… 

 

J’ai soudain un sursaut de panique.

 

- Tu veux me faire sortir de la maison en pleine nuit ?

- T’inquiète ! On reste dans les murs, intra muros comme on dit en cours de Latin. Fais-moi confiance. Allez ! Enfile ça… Et ça aussi.

 

En quelques instants, je suis habillé des pieds à la tête. Et ce n’est pas peu dire. Coyote m’a obligé à enfiler deux pulls, un bonnet de laine ridicule tricoté par ma mère et des moufles. Je surprends mon image dans la glace de l’armoire et je me trouve complètement ridicule. Coyote, lui,  sourit avec satisfaction.

 

- Parfait ! dit-il. Je pense qu’à cette heure-ci tes vieux doivent être couchés. Alors, suis-moi… 

 

Aussitôt, il ouvre la porte de la chambre et après avoir glissé la tête par l’entrebâillement, il m’invite à le suivre d’un geste de la main. Le cœur battant, je me faufile derrière lui et nous traversons l’appartement obscur et silencieux. Au passage, je m’assure qu’aucun rai de lumière ne filtre sous la porte de la chambre de mes parents et pousse un faible soupir de soulagement.

Coyote a déjà traversé la salle à manger et m’attend devant la porte qui donne sur l’escalier du magasin. Perplexe, je me demande comment il peut connaître aussi bien les lieux. Encore un mystère. Mais je ne lui poserai pas de question. J’ai la certitude qu’il n’y répondrait pas. Ou de manière évasive, comme si la réponse était évidente et ne méritait pas qu’on s’y attarde. De toute façon, il avance tellement vite et d’un pas si décidé que le moment ne se prête guère à la discussion.

Nous voilà dans la boucherie. Je n’ose imaginer ce  qui se passerait si l’Ogre me surprenait là à cette heure et avec un inconnu qui plus est…

Coyote ouvre la porte de la chambre froide.

 

- Non ! Non ! dis-je dans un souffle affolé. On ne peut pas entrer là ! Il fait trop froid. Et puis si la porte se referme on va mourir congelés avant que quelqu’un ait pu nous sortir de là… 

- Arrête de faire ta chochotte, répond mon ami. On va caler la porte, juste ce qu’il faut pour ne pas se faire piéger.

 

A contre cœur, je le suis dans la chambre froide. Coyote n’a eu aucun mal à trouver l’interrupteur. Devant nous, des quartiers entiers de viande sont pendus à des esses, dans un alignement très militaire : demi-cochons, moitiés de veaux, agneaux et génisses sont ordonnés sur trois rangées entre lesquelles nous avons juste la place de nous faufiler. Coyote est loin d’être aussi couvert que moi, à peine vêtu d’un pull en jacquard, d’un foulard et d’une casquette en cuir élimée un peu trop grande pour lui. Pourtant le froid de la pièce ne semble pas avoir de prise sur lui tandis qu’il déambule au milieu des carcasses blafardes. Je marche derrière lui, toujours aussi inquiet. Je ne sais pas pourquoi il m’a amené dans cet endroit qui me parait encore plus sinistre qu’à l’ordinaire. Je n’y suis toujours venu qu’en compagnie de l’Ogre, et toujours sur ses ordres pour l’aider à y entreposer telle ou telle pièce de viande. Je ne traîne jamais. C’est chambre froide, c’est un peu comme le placard de Barbe Bleue qui hante mes nuits de cauchemars. A présent, c’est tout éveillé que j’ai la peur chevillée au corps et je tremble, ce n’est pas que de froid. Je supplie mon camarade :

 

- Coyote, sil te plait ! On ne peut pas rester là, j’te jure… Si mon père nous surprend… 

 

Fidèle à lui-même, il fait mine de ne pas avoir entendu et poursuit son idée.

 

- Viens voir ici. Celle là me semble parfaite, dit-il en montrant une demi-pièce de bœuf.

- Parfaite pour quoi ? dis-je sans comprendre.

- Ecoute ! Un jour ou l’autre il faudra bien que tu te battes avec Jean-Christophe, et certainement avec d’autres. Et sans être un minimum préparé à l’avance, je ne donne pas cher de tes chances. Alors c’est simple : tu vois cette carcasse ? Tu n’as qu’à imaginer que c’est ton pire ennemi. Tu vas apprendre à frapper… 

 

Je secoue la tête de droite à gauche en signe de dénégation. Je gémis :

 

- Non ! J’peux pas faire ça…

- Tu vas vraiment finir par me fatiguer là, tu sais ? Après tout je suis ici  exprès pour toi. Et en remerciement, tout ce que tu trouves à faire c’est de jouer les mauviettes !  Allez ! Cogne, j’te dis ! 

 

Je tergiverse  quelques instants. Face à la pièce de bœuf inerte, je lève plusieurs fois des bras hésitants avant de les rabaisser aussitôt. L’air froid me brûle les poumons. Effrayé par la situation, je regarde les volutes de condensation s’échapper de ma bouche à chaque expiration comme s’il s’agissait de mon âme partant en lambeaux. Coyote s’impatiente :

 

- Bon alors ?! C’est pour aujourd’hui ou pour demain ?

 

Dans une grimace de dégout, je relève ma garde et j’obéis avec la plus grande répugnance. Mon poing effleure à peine la masse de viande accrochée au plafond. Même à travers mes moufles, le contact de la chair froide et glacée recouverte d’une fine couche de graisse me donner la nausée.

Coyote ironise :

- Non, mais tu me fais quoi là ? Tu caresses Mademoiselle Legrand ? Imagine que c’est Jean-Christophe, j’te dis. Allez ! Vas-y ! Frappe plus fort bon sang !

 

Je serre les mâchoires, ferme les yeux et prends une grande inspiration avant de décrocher un direct rageur au quartier de viande qui se met à balancer de gauche à droite et d’avant en arrière.

 

- Voilà ! Tu vois ? Ce n’est pas bien compliqué !  s’exclame mon ami en me décrochant un sourire radieux que je lui retourne aussitôt, fier d’avoir enfin obtenu son approbation.

 

- Bon, allez ! Continue ! Donne –lui ce qu’il mérite ! Prends-toi pour Casius Clay. Enchaîne ! Fous-le à terre !

 

Sous ses exhortations, je m’enhardis et frappe la carcasse avec détermination, enchaînant les coups du droit et du gauche. J’ai oublié ma répulsion du début pour cette viande froide et molle au point de m’approcher au plus près de mon adversaire imaginaire. Et dans ses mouvements de va et vient, celui-ci m’invite à un corps à corps macabre  ressemblant  plus à un pas de deux qu’à un combat. Crochets et chaînes d’attache accompagnent notre danse dans un cliquetis effréné. Bientôt, toutes les pièces de viande de la rangée entrent dans le bal. Coyote est ravi et applaudit. Il vient tout près de moi et souffle des encouragements par-dessus mon épaule. Chacune de ses paroles passe devant mes yeux comme un spectre jailli de l’Au-delà.

 

- Allez ! Vas-y ! Cogne ! Cogne ! 

 

J’éclate de rire, libérant d’un coup toute la tension nerveuse accumulée au creux de mon estomac. Finalement, ce jeu m’amuse beaucoup. Mes craintes d’être surpris en ce lieu par l’Ogre se sont presque complètement envolées. Nous rions comme des damnés, Coyote et moi, et nos rires ne font plus qu’un.

Enivré, je saute comme un cabri autour de mon adversaire que je roue de coups. Je ne sens plus le froid. Je ne sens plus la peur. J’exulte de sentir chaque muscle de mon corps dégager ce mélange de force et de rage implacable dans lequel la pitié pour un adversaire vaincu n’a aucune place.

J’ignore combien de temps nous avons pu passer dans cette chambre froide, à tailler en pièce la lie de mon existence. Je sais seulement que la nuit est bien avancée lorsque nous remontons dans ma chambre. Je suis en nage et épuisé. Je ne sens plus mes bras ni mes jambes. Je manque même de m’étaler de tout mon long en buttant contre une chaise en traversant la salle à manger. Coyote me retient de justesse et nous pouffons de rire. Entre deux hoquets, nous nous regardons, l’index posé sur les lèvres en faisant « chuuut ! » avant que le fou rire étouffé ne nous reprenne.

Une fois dans ma chambre, Coyote ne perd pas de temps. Par la fenêtre restée grande ouverte, il m’abandonne aussi soudainement qu’il était apparu.

 

- Salut ! A demain !  lance-t-il avant de se fondre dans la pénombre.

 

J’ai juste le temps d’apercevoir sa silhouette se glisser dans l’arrière cour avant de refermer les volets.

Je m’écroule sur mon lit, les bras en croix. J’écoute mon cœur battre très fort et je me mets à chantonner :

 

« Bien sûr on ne sait rien faire

Mais à deux on sait tout faire

On aura le monde entier

Si tu me laisses pas tomber. »

 

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B
<br /> <br /> et bien! ça chauffe les commentaires, c'est marrant..ça marche on dirait ! ( je me comprends..).<br /> <br /> <br /> bref, je suis simple simplement lectrice et je vais tranquillement avec plaisir lire la suite de ce 3ème épisode que j'ai dévoré<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />
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C
<br /> <br /> et bien là, je justifie à droite (j'aligne si tu préfères)<br /> <br /> <br /> là, j'aligne à gauche<br /> <br /> <br /> là je centre le texte<br /> <br /> <br /> et toi, je ne sais pas comment tu fais dans ce blog mais quand tu écris ton texte, tu dois avoir la possibilité de l'aligner à gauche, à droite, de le centrer et de le justifier (c'est comme il<br /> est là, comme un carré, ton texte est écrit aligné à gauche et à droite, ça fait comme un grand rectangle)<br /> <br /> <br /> Grenouille<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />
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C
<br /> <br /> j'allais oublier : en fait le bandeau du haut de ton blog je le ferai moins haut et puis surtotu le texte je l'écrirais justifié à gauche et pas justifié tout court. Tu vois ce que je veux dire<br /> ?...<br /> <br /> <br /> <br />
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D
<br /> <br /> Tu justifierais ça comment? C'est quoi justifié "tout court" ? Justicié tout court encore j'comprends, c'est pendu, mais justifié... Comment qu'on fait ?<br /> <br /> <br /> <br />
C
<br /> <br /> Et si je rajoute : "je te prends de l'herbe..." tu vois qui je suis ?... tu es sûr ?!...<br /> <br /> <br /> Les français parlent aux français !...<br /> <br /> <br /> Petit message pour te dire que je t'ai rajouté dans les liens de mes nombreux sites et blog (dans lequel soit-dit en passant tu ne laisses jamais de commentaires !...)<br /> <br /> <br /> Sans rancunes et surtout n'oubliez pas demain à 15 heures, j'irais avec les pissenlits ramassés dans votre jardin pour en offrir à tout le monde, comme convenu !<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />
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D
<br /> <br /> Oui! C'est Grenouille, le cochon d'Inde comme son nom l'indique !!!<br /> <br /> <br /> <br />
L
<br /> <br /> Je persiste et signe, à l'orée de la fôret. Je ne lis rien, sauf les commentaires ! Puissent-ils ne pas t'influencer...<br /> <br /> <br /> <br />
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D
<br /> <br /> Bon, donc j'en déduis que les commentaires des lecteurs sont plus intéressants à lire que le roman lui-même Super,<br /> je compile les commentaires et je les envoie à mon éditeur alors...<br /> <br /> <br /> <br />